Haut lieu du savoir, l’Université d’Abomey-Calavi était jadis, un milieu où, selon le Professeur Mahougnon Kakpo, le vodun n’avait pas droit de cité. Aujourd’hui chose possible, l’universitaire a saisi l’occasion d’un lancement de livre de son collègue Dodji Amouzouvi pour conter une histoire saisissante.
« Quelle aubaine ! », devraient s’exclamer ceux qui ont assisté jeudi 14 mars 2024, au lancement du livre « Le Vodun présenté à ma fille » du professeur Dodji Amouzouvi.
A cet évènement qui a mobilisé une émince à la fois grise et praticienne du vodun, l’assistance a eu droit à des anecdotes édifiantes sur la relation que des Béninois entretiennent avec le vodun. Voué aux gémonies avec l’avènement des religions révélées et aujourd’hui en voie de valorisation comme élément incontestable du patrimoine cultuel et culturel du Bénin, le vodun, d’après des témoignages de nombreux intervenants dont des universitaires, a souffert de la diabolisation.
On remonte le temps. Un peu plus de deux décennies en arrière, à l’Université d’Abomey-Calavi, parler du vodun, apprend le Professeur Kakpo Mahougnon, était un tabou. « Pour moi, ce matin est non seulement un plaisir, mais c’est une fierté. Une fierté de trouver ou de voir ou de célébrer le vodun à l’université. Il y a de cela, environ 25 ans, cela n’était pas possible à l’université d’Abomey-Calavi. Cela n’était pas possible parce que, même prononcer le mot vodun dans les amphithéâtres, prononcer le mot Fâ dans les amphithéâtres de notre université, cela était très difficile. » a déclaré, le scientifique, prolixe auteur sur le vodun.
Homme à multiple casquettes, Kakpo Mahougnon est celui qui dirige le comité des rites vodun au Bénin. Instauré à l’avènement du régime du Président Patrice Talon, le comité des rites vodun a entre autres, pour mission de contribuer à la labellisation des rites, cérémonies et pratiques des couvents du Vodun dans le cadre de leur mise en tourisme.
Pour en arriver à traiter du vodun dans les amphis de l’UAC au point qu’un lancement de livre à ce sujet face salle comble, il aura fallu de la témérité pour ceux qui peuvent être considérés comme les révolutionnaires. « C’est pour cela que je voudrais saluer le comportement anticonformiste du professeur Amouzouvi Dodji que, admirablement, j’ai rencontré dans cette université et qui a continué le combat avec moi. », salue l’aîné Mahougnon Kakpo.
En ce qui le concerne, conte-t-il entre l’une des nombreuses parenthèses de son propos, il a dû faire face à des critiques de ses collègues réfractaires à l’évocation du vodun. « Lorsqu’en 2006, j’avais écrit mon premier ouvrage sur le Fâ, « Introduction à une poétique du Fâ », certains de mes propres collègues se disaient entre eux « Qu’est-ce que Kakpo fait comme ça ?, On va encore parler du Fâ à l’université, on va parler du vodun à l’université ! Il n’a qu’à rester chez lui là-bas et faire ça non ! ». », rappelle-t-il, nostalgique.
18 ans après, il savoure une victoire que ses œuvres et le temps lui décernent. « Aujourd’hui, ce sont ces mêmes collègues qui prennent l’ensemble de l’épistémologie du Fâ et vodun que nous avons pu élaborer et mettre à disposition pour aller non seulement rédiger leurs propres articles mais également, pour aller faire leurs propres cours dans les mêmes amphithéâtres. » A ces propos, Kakpo reçoit un bain d’ovations spontanées de l’assistance visiblement séduite.
Amouzouvi Dodji, un « complice »
Dans ce combat, l’auteur de l’opuscule « Le Vodun présenté à ma fille » a pris une part importante. Fondateur du LARRED, il a dirigé de nombreuses thèses sur le vodun et ses entités.
A ce sujet, témoigne Mahougnon Kakpo, « Lorsque le professeur Amouzouvi Dodji qui a créé un laboratoire, le LARRED, a continué de faire son implication dans les pratiques du vodun, dans l’enseignement du vodun, j’avais trouvé en lui, non seulement un compagnon, mais un complice dans l’introduction du vodun dans la sphère scientifique. »
Le drame au Bénin, regrette-t-il, c’est que ses compatriotes rechignent à assumer un trait de leur identité. « Nombreux d’entre nous sommes réfractaires. Nous sommes réfractaires aux pratiques du vodun alors que nous pratiquons le vodun tous les jours. Nous pratiquons le vodun tous les jours sans vouloir nous l’avouer. », tance le chercheur et ardent défenseur des réalités endogènes.
A travers l’ouvrage publié Aux Editions du LARRED et déjà en vente, le président du comité des rites vodun au Bénin trouve un moyen d’apporter la connaissance véritable du vodun au public. A l’en croire, l’auteur qui est également praticien, a su mobiliser les ressources intellectuelles pour rendre le contenu de son livre accessible à toutes et à tous.
« Il m’a fait déposer à la maison, un exemplaire de l’ouvrage. Je l’ai lu en moins de deux heures et demi et j’ai trouvé que le professeur Amouzouvi a beaucoup de mérites. Beaucoup de mérites parce que la portée pédagogique de cet ouvrage est extraordinaire. », atteste-t-il. Ce livre, poursuit ce lecteur sachant, « c’est la présentation de ce qu’est le vodun à une fille qui a entendu dire que le vodun c’est le diable, le vodun c’est la méchanceté, le vodun c’est la sorcellerie, le vodun c’est la saleté, le vodun c’est ce qu’il faut jeter. (…). La naïveté dans les questions posées par la fille, la simplicité avec laquelle le professeur ou le père a répondu aux questions posées révèlent la portée didactique de ce manuel que nous avons. »
Maintenant que ce livre, tel une bouteille jetée à la mer, comme l’aperçoit l’écrivain Florent Couao-Zotti, poursuit son voyage, les complices de l’introduction du vodun à l’université au Bénin ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Ils mijotent un projet. Affaire à suivre donc !